Je rénove et transforme une ancienne grange en maison d’habitation… Oui, mais à quel taux de TVA ?

Je vais probablement aborder souvent ici la question du traitement TVA applicable aux opérations immobilières.  C’est un peu mon domaine de prédilection et je dois bien dire que mes clients et l’administration n’en finissent pas de me donner des raisons d’écrire sur le sujet.

Parlons aujourd’hui du taux de TVA réduit à 6% applicable à certains travaux immobiliers.

Pour ce qui concerne les logements privés, le taux de TVA réduit à 6% s’applique essentiellement à deux types d’opérations : les rénovations (rubrique (XXXI et) XXXVIII du Tableau A de l’annexe à l’arrêté royal TVA n° 20) et les démolitions-reconstructions (rubrique XXXVII du Tableau A de l’annexe à l’arrêté royal n° 20).

Les conditions mises à l’application de ce taux de 6% sont nombreuses et varient un peu en fonction du type d’opération.

Les conditions à remplir pour les opérations de rénovation sont les suivantes :

  • Elles doivent avoir pour objet la transformation, la rénovation, la réhabilitation, l’amélioration, la réparation ou l’entretien, à l’exclusion du nettoyage, de tout ou partie d’un bâtiment d’habitation,
  • Les travaux doivent être affectés à un bâtiment d’habitation qui, après leur exécution, sera effectivement utilisé, soit exclusivement soit à titre principal comme logement privé,
  • Les travaux doivent être effectués à un bâtiment d’habitation dont la première occupation date d’au moins cinq ans (l’accord de gouvernement prévoit cependant de prolonger ce délai à 10 ans au 1er janvier 2016 – notons que la rubrique XXXI prévoit, elle, un délai de 15 ans),
  • Les travaux doivent être fournis et facturés à un consommateur final,
  • Enfin, ces travaux doivent faire l’objet d’une attestation formelle du client quant à la réunion des conditions précitées et d’une facture répondant à des conditions de forme précises.

J’aurai certainement l’occasion de revenir sur les limites et contours de chacune de ces conditions.

Mon sujet du jour concerne la condition liée à l’affectation des travaux à un bâtiment dit « d’habitation ».  Et, plus particulièrement, la question de savoir si le bâtiment concerné doit être utilisé comme habitation avant les opérations de rénovation ou si le taux réduit de 6% s’applique aux travaux qui ont pour objet la rénovation et la transformation d’un bâtiment qui est « non habitable » (parkings, grange, hangar, ferme, bâtiment industriel, chance à l’abandon, etc.) en logement privé.

Que dit exactement la disposition légale ? Le §1er, 2° de la rubrique XXXVIII (et XXXI) de l’annexe A à l’arrêté royal TVA n° 20 exige que les opérations soient « affectées à un bâtiment d’habitation qui, après leur exécution, est effectivement utilisé, soit exclusivement soit à titre principal comme logement privé ».

Il ressort cependant du point n° 39 de la Circulaire TVA  n° 86/006 (du 22 août 1986) qu’« il n’est pas requis que le bâtiment fut déjà adapté à cette destination (de logement privé) avant cette exécution (des travaux).  Le taux réduit est donc susceptible de s’appliquer, toutes autres conditions étant réunies, aux travaux de transformation d’un immeuble à usage de bureau en un immeuble à appartements ».

Il est précisé au point n° 40 qu’il « ne suffit pas que le bâtiment soit adapté à sa destination de logement; encore faut­-il (…) qu’il soit effectivement utilisé à cette fin ».

La Circulaire de 1986 est donc claire : le taux réduit s’applique, quelle que soit la destination originaire du bien.  Seule importe son usage comme logement privé après travaux.

Des commentaires administratifs plus récents sont venus rappeler que « les travaux immobiliers qui ont pour objet la transformation d’un bâtiment en logement privé peuvent bénéficier du taux réduit de TVA (…), indépendamment de l’affectation du bâtiment avant la transformation » (QP n° 1161 du représentant Olivier du 4 juillet 1994 – voyez également : QP n° 10991 de M. Chabot du 23 mars 2006 ; Commentaire TVA n° 37/1550).

Il n’est donc pas rare de voir la jurisprudence et le SDA confirmer le bénéfice du taux réduit à des projets de transformation d’immeubles industriels, commerciaux, ruraux ou encore de hangar, de granges ou d’étables en habitations privées, qu’il s’agisse de lofts, de maisons, de résidences ou d’immeubles à appartements (voyez entre autres : Décision n° 2010.201 du 15 juin 2010 ; Trib. Liège 4 octobre 2007, FJF, 2008/115 ; Trib. Namur, 9 février 2005, Act. Fisc. 2005/33-3, etc.).

Et pourtant…  L’administration a, à plusieurs reprises, plaidé contre sa propre position, arguant – dans certains cas avec succès – que l’immeuble  devait déjà, avant travaux, être affecté au logement privé.

  1. A ma connaissance, la première juridiction à la suivre dans ce raisonnement fût la Cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 27 octobre 2010 (2008/RG/1528 – Fisc., 2011, n° 15, 7 avril 2011 p. 1).

Dans sa décision, la Cour précise ne pas être liée par la Circulaire administrative (ce qui est exact).  Elle estime qu’elle ne doit avoir égard qu’aux textes de loi, dont l’arrêté royal TVA n° 20 qui impose, selon elle, que l’immeuble soit déjà affecté au logement privé avant les travaux.

Selon l’arrêt, « il suffit pour s’en convaincre de constater que si la thèse du redevable devait être retenue, elle aboutirait à créer une distorsion de concurrence entre les constructeurs d’immeubles neufs construisant sur des terrains nus et ceux qui par astuce ou habileté érigeraient des immeubles d’habitation sur d’autres constructions anciennes mais non affectées au logement; Que tel n’a pas été le but du législateur qui en prévoyant un taux réduit visait à favoriser la réhabilitation d’immeubles déjà construits et affectés au logement ».

Il semble que dans cette affaire l’administration souhaitait en fait rejeter l’application du taux réduit car elle estimait que l’agrandissement de l’immeuble suite aux travaux était trop important par rapport à sa superficie originaire (je reviendrai sur cette question des travaux d’agrandissement dans un prochain article).

Sa thèse initiale ayant été rejetée par le juge en première instance (car, justement, les critères de superficie dans le cadre d’un agrandissement ne sont prévus que par une décision administrative), elle aurait développé la thèse de l’affectation préalable afin de s’assurer d’avoir un argument reposant sur le texte même de la législation TVA en appel (T. Lamparelli, Act. Fisc., 2011, n° 15, 7 avril 2011).

L’arrêt était isolé, mais donnait déjà un levier sérieux à l’administration TVA dans certains dossiers.

  1. Vint ensuite un jugement du 20 juin 2013 rendu par le Tribunal de première instance de Mons (RG n° 12/259/A). Le Tribunal relève, exactement comme l’avait fait la Cour d’appel de Liège, que la rubrique XXI de l’arrêté royal TVA vise les travaux effectués à un bâtiment d’habitation.  Selon le Tribunal, cette affectation s’apprécie préalablement à la réalisation des travaux.

Le Tribunal ajoute que « ni dans la circulaire 86/006 du 22 aout 1986 ni dans aucune réponse à une question parlementaire, il n’est dit que la transformation d’une grange peut bénéficier du taux réduit de la TVA.  Au contraire, la circulaire précise en son numéro 31 que la transformation radicale d’une grange en une maison d’habitation est exclue du taux de 6% ».

Or, d’abord, comme indiqué plus haut, l’administration n’a pas manqué de confirmer sa position, notamment via ses réponses à des questions parlementaires.

Ensuite, le point 31 de la circulaire auquel se réfère le Tribunal traite de la différence entre des travaux de transformation, bénéficiant du taux de TVA réduit à 6%, et des constructions nouvelles ou transformations radicales qui n’en bénéficient pas.  Si la Circulaire, pour illustrer le cas d’une transformation radicale,  parle d’une « grange ou autre annexe d’une exploitation agricole en une maison d’habitation », elle n’exclut pas l’application du taux réduit lorsque les travaux de transformation ne sont pas « radicaux ».

Il est clair à mon sens qu’il est possible de transformer une grange en maison d’habitation sans qu’il s’agisse d’une « transformation radicale » au sens de la circulaire (par exemple parce que l’on garde l’ensemble des murs porteurs, des fondations et de la structure de la grange).

  1. Enfin, dans un arrêt rendu le 25 février 2015, la Cour d’appel de Mons décide, elle aussi, qu’il ressort de l’arrêté royal TVA que les travaux doivent être effectués à un bâtiment préalablement affecté à l’habitation (arrêt non publié, mais commenté dans Le Fiscologue, 13 mars 2015, n° 1422, p. 12).

Selon la Cour le texte de la loi est clair.  Or, « en droit fiscal, un texte clair n’est pas sujet à interprétation » et « le contribuable ne peut pas davantage imposer au juge l’application des règles formulées dans une circulaire administrative, lorsque ces règles sont contraires à la loi fiscale ».

La Cour estime dès lors que « dans la mesure où le bâtiment qui a fait l’objet des travaux […] n’était pas, avant les travaux, un bâtiment d’habitation mais une ancienne grange », les conditions mises à l’application du taux de TVA réduit à 6% n’étaient pas remplies.

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A mon avis, le texte de l’arrêté royal TVA laisse une place non négligeable à l’interprétation de cette condition.  Il ne dit pas clairement que le bâtiment doit être affecté à l’habitation préalablement aux travaux.  Tout au plus le suggère-t-il, ce qui ne me semble pas être suffisant pour donner à cette interprétation une valeur supérieure à celle donnée par l’administration dans ses commentaires.

Qu’en est-il au niveau européen ?  La TVA est en effet une matière européenne et l’interprétation des règles de TVA belge doit toujours se faire au regard des textes et décisions européennes.

Pas beaucoup d’arguments à tirer de ce côté puisque le §10bis de l’annexe III à la Directive TVA (qui liste les opérations pouvant faire l’objet des taux réduit visés à l’article 98 de la Directive TVA) vise simplement « la rénovation et la réparation de logements privés (…) ». Et, à ma connaissance, cette disposition n’a pas (encore) été soumise à l’interprétation de la Cour de justice européenne.

Il me semble néanmoins que les décisions de jurisprudence citées négligent, comme d’ailleurs trop souvent, l’un des principes fondamentaux de bonne administration qui s’imposent à l’Etat : la sécurité juridique.

Comme l’indique la Cour de cassation, les principes généraux de bonne administration « s’imposent aussi à l’administration des finances ; le droit à la sécurité juridique implique notamment que le citoyen doit pouvoir avoir confiance à ce qu’il ne peut concevoir autrement que comme étant une règle fixe de conduite de l’administration ; il s’ensuit qu’en principe les services publiques sont tenus d’honorer les prévisions justifiées qu’ils ont fait naître dans le chef des citoyens » (Cass. 27 mars 1992, Pas. 1992, I, p. 680).

Dès lors, s’il est vrai qu’une loi suffisamment claire s’applique en principe au-delà et sans égards aux commentaires administratifs en la matière, il me semble que lorsque cette application est à la défaveur du contribuable – qui a pourtant scrupuleusement suivi la position et les recommandations de l’administration fiscale – la sécurité juridique de ce contribuable est ébranlée.

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Ces décisions viennent donc renforcer le levier de l’administration fiscale dans des dossiers où elle souhaite remettre en cause l’application du taux de TVA réduit à 6%.

Le contribuable, lui, n’y voit pas plus clair, que du contraire.  On ne peut donc que plaider pour que le législateur (et idéalement le législateur européen) précise sa pensée.

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La Cour de Cassation s’est depuis lors prononcée sur cette question clôturant, espérons-le, définitivement le débat.  Voyez mes commentaires sur cet arrêt ici.

5 réflexions sur “Je rénove et transforme une ancienne grange en maison d’habitation… Oui, mais à quel taux de TVA ?

  1. Merci Maître.

    J’avais vu cet arrêt sur Monkey. Espérons qu’il ne fasse pas tâche d’huile.

    Le Petit Fiscaliste illustré, C’est de vous ?

    Bonne soirée

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    1. Oui, c’est de moi ! L’idée est de parler de fiscalité de manière simple et concrète, en illustrant les thèmes abordés par des exemples de situations dans lesquelles le lecteur pourra(it) se retrouver. Excellente journée !

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  2. Bonjour,

    Si nous avons droit à la TVA réduite pour la rénovation de notre grange en maison d’habitation, avons nous droit également à la réduction d’impôt et cela est que sur la fourniture et pose?

    Merci pour votre article, car nous étions perdu.

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